vendredi 14 décembre 2012

Les requins décimés pour la production de cosmétiques et de compléments alimentaires


Un grand flou entoure les activités liées à la pêche du requin. Absence de statistiques, pratiques de pêche illégales, rejet dans la mer de requins mutilés… Inquiètes pour la survie de certaines espèces, plusieurs associations (dont Bloom et Shark Angels France) montent au créneau pour défendre les requins les plus menacés et dénoncer les pratiques révoltantes liées à ce commerce juteux.

L'enquête de l'association Bloom pour pallier le manque de chiffres sur les requins et les cosmétiques

Fondée en 2005, l'association BLOOM a trois principaux objectifs : préserver les océans profonds, sauvegarder les espèces menacées en luttant contre leur extinction et aider les pêcheurs à poursuivre leurs activités en travaillant sur la question des finances publiques allouées à la pêche. Pour parvenir à ses fins, l'association mène une activité de recherche qui se veut et se dit indépendante. Bloom souhaite ainsi générer de la contre-expertise face aux modes de pensée productivistes qui sont dominants dans le domaine de la pêche.
La malédiction du requin est d'être utile de toutes les façons : la chair et les ailerons peuvent se manger, le cartilage peut être transformé en compléments alimentaires, les dents en bijoux et la peau en sacs, chaussures... L'élément qui nous intéresse plus particulièrement ici est l'huile de foie de requin : chez certaines espèces de grands fonds[1], le foie est particulièrement gorgé d'huile. Celle-ci contient du squalène, lipide qui entre dans la composition de nombreux produits cosmétiques et nutraceutiques[2]. 
L'association Bloom souligne les difficultés à recueillir des informations sur le commerce de l'huile de foie de requin et du squalène : non déclarés à l'échelle nationale comme internationale, les volumes mis sur le marchés ne peuvent être évalués statistiquement. L'association a donc enquêté auprès de pêcheurs et de producteurs d'huile et de squalène pour estimer la production et les usages de ceux-ci.

Le squalène d'origine animale : une demande qui régresse sensiblement mais qui demeure dangereuse pour le requin 

L'association évalue la demande mondiale d'huile de foie de requin entre 2 000 à 2 200 tonnes pour 2012 (soit un recul de 20% par rapport à 2010). La tonne coûterait de 12 à 15 000 $ (de 9 000 à 11 500 €), selon sa concentration en squalène. La tonne de squalène coûterait elle entre 15 et 25 000 $ et celle de squalane[3] entre 20 et 35 000 $. 
Pour satisfaire la demande mondiale, chaque année 3 millions de requins environ font l'objet de pêches ciblées. Or, les requins des profondeurs sont des espèces menacées d'extinction. Compte tenu du prix élevé du squalène, des pratiques parfois barbares se développent. De la même manière que certains pêcheurs découpent les ailerons du requin avant de le rejeter à la mer (phénomène appelé le « finning »), il semblerait qu'il existe également des pratiques de rejet des carcasses après extraction du foie (le « livering »), selon Bloom. 
Le Japon représenterait à lui seul 40% de la demande mondiale de squalane. Après avoir été essentiellement pratiquée par le Japon (dans les années 1960), l'Espagne et le Portugal (jusqu'au milieu des années 1990), la pêche s'est déportée plus au Sud, les requins se faisant de plus en plus rares dans les zones nord et est de l'océan Atlantique. Les principaux pays producteurs de squalène aujourd'hui sont les Philippines, l'Indonésie, l'Inde ; mais aussi l'Australie, la Nouvelle-Zélande et l'Espagne, malgré le fait que ces pays aient instauré des quotas de pêche (via l'Europe pour l'Espagne). La plus forte concentration de squalène dans le foie des requins des eaux du Sud (un mystère scientifique) expliquerait également ce déplacement géographique de l'effort de pêche. 

Quelles sont les utilisations de l'huile de foie de requin ?

Bloom estime que 90 % de la production de squalane sert à la composition de cosmétiques (lotions, déodorants, crèmes solaires, crèmes à usage médical, vaccins, sticks à lèvres, baumes à lèvres, crèmes pour le visage, maquillage, etc.[4]) et 9 % pour le marché du nutraceutique (on en trouve dans des boissons énergétiques, suppléments pour animaux, vitamines…).
Hormis en Europe où la part de squalane végétal[5] augmente et devient majoritaire dans les compositions, l'essentiel des produits cosmétiques comprend du squalane d'origine animale. L'explication est avant tout financière : le squalane végétal serait environ 30% plus cher, car la concentration de squalène dans l'huile d'olive ou dans certaines céréales est nettement inférieure (entre 0,1 et 0,7%) à celle observée dans le foie des requins. Dans l'Union Européenne, le changement est intervenu en 2010, lorsque celle-ci a interdit aux navires de cibler les requins profonds dans ses eaux. Auparavant, les flottes industrielles françaises et espagnoles les pêchaient abondement dans l'Atlantique Nord-Est. 
Dans le secteur nutraceutique, mais aussi dans le secteur pharmaceutique, le recours à l'huile de foie de requin est controversé : d'une part, les vertus exceptionnelles (elle contient de grandes quantités d'alkylglycérols qui joueraient un rôle important dans la stimulation du système immunitaire ; ainsi consommer de l'huile de foie de requin permettrait par exemple d'augmenter les effets d'une chimiothérapie et réduire les effets indésirables d'une radiothérapie) que l'on prête au squalène ne sont pas scientifiquement démontrées, et d'autre part, des métaux lourds et polluants organiques ont été trouvés dans des capsules d'huile de foie de requin ou dans des gélules de squalène. Shark Angels France[6] rappelle par ailleurs que le foie des requins contient souvent des toxines dangereuses pour la santé humaine, en particulier celle des enfants et des femmes enceintes.

La production et le commerce de squalane : extrêmement difficiles à évaluer

Aucune réglementation européenne n'oblige à mentionner l'origine du squalane contenu dans un produit, d'où l'impossibilité pour le consommateur de choisir en toute connaissance de cause. De plus, certaines multinationales affirmant que leur squalane était d'origine végétale auraient en réalité été dupées par leurs fournisseurs. 
Aujourd'hui, il est impossible d'analyser objectivement les échanges mondiaux : il n'existe aucun code standardisé (sauf en Corée du Sud) qui permettrait de désigner le squalane animal. Les pays ne déclarent donc pas ces échanges à la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) et l'évaluation statistique s'avère extrêmement difficile. 

Quel est le rôle de la France dans la pêche de requins ?

D'après Shark Angels France, la France est réellement concernée par la disparition des requins puisqu'elle est la deuxième exportatrice vers la Chine de produits issus de la pêche au requin en Europe.
Les requins sont essentiellement pêchés pour leurs ailerons et leur foie. Le « finning » étant désormais interdit ou réglementé, les industries de pêche européennes essaient de développer de nouveaux marchés afin de valoriser les carcasses de requins. La viande de requin est désormais disponible sur les étals français et européens, les pilules de cartilage ou de squalène se vendent dans les soi-disant épiceries bios et sur Internet, et la pêche du requin continue. Shark Angels France incite donc les consommateurs à boycotter les produits issus de la pêche du requin afin d'obtenir à terme une réglementation internationale stricte sur le commerce et la vente de ces produits.

Les recommandations de l'association Bloom 

Bloom demande à ce que soient désormais différenciée la dénomination « squalane » dans les ingrédients cosmétiques entre « squalane végétal » et « squalane de requin ». Elle demande un code douanier international correspondant au produit « huile de foie de requin », ainsi que deux codes spécifiques permettant de distinguer le squalane animal du végétal. La production, les importations et exportations devraient être déclarées par tous les pays à la FAO. Enfin, l'Europe devrait suivre l'exemple des États-Unis et ne pas autoriser l'utilisation de squalène de requin dans un quelconque produit.

Notes

  1. De 200 à 4000 mètres de profondeur
  2. « Produit fabriqué à partir de substances alimentaires, mais rendu disponible sous forme de comprimé, de poudre, de potion ou d'autre formes médicinales habituellement non associées à des aliments, et qui s'est avéré avoir un effet physiologique bénéfique ou protecteur contre les maladies chroniques » Source
  3. Forme "saturée hydrogénée" du squalène.
  4. La présence de squalane est signalée par la mention Squalan ou Squalane dans la liste de leurs ingrédients
  5. Indiqué par Olive squalane, Squalane (vegetable), Squalane (végétal), Vegetal squalane...
  6. Membre d'un réseau créé en 2007 aux USA, l'association Shark Angels France rassemble des passionnés par le monde marin et œuvrant pour la protection des requins.

Sources:Association Bloom,Shark Angels France,notre planète info

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire