jeudi 29 novembre 2012

Conférence de Doha : un sommet pour le climat... Chez le plus grand pollueur mondial


COP18_Doha© COP18
Ironie du sort, le pays qui accueille en ce moment la prochaine conférence mondiale du climat n'est autre que le premier pays émetteur de Gaz à Effet de Serre (GES) par habitant. Du lundi 26 novembre au vendredi 7 décembre, le Qatar héberge la Cop 18, c'est-à-dire la 18e conférence mondiale sur le climat[1] de l'ONU. Plus de 190 pays sont réunis pour l'occasion à Doha, afin de décider de l'avenir du protocole de Kyoto[2] et d'esquisser un grand accord pour 2015, qui devrait engager tous les grands pollueurs mondiaux, notamment la Chine, en première position.

Le Qatar cherche à entrer dans la cour des grands 

Bien que richissime (le pays détient le 3e plus gros PIB par habitant en 2011, juste derrière le Luxembourg et la Norvège[3] avec 100 378 $), le Qatar n'occupe pas un rôle prépondérant sur la scène politique internationale. Or, depuis sa prise de pouvoir en 1995, l'émir Hamad ben Khalifa al-Thani a souhaité moderniser et promouvoir son pays. Le Qatar s'est donc engagé à accueillir et mener la conférence. Ainsi, pendant près de deux semaines, tous les regards seront tournés vers leQatar National Convention Center.
Pour asseoir sa crédibilité, Doha ne manque pas d'armes : ainsi, ces dernières années, le Qatar a vu se développer une véritable industrie de la conférence, et les colloques internationaux s'y multiplient. Rien que ces derniers mois, le Qatar a accueilli le congrès de l'Union postale universelle, la conférence de l'ONU sur l'Alliance des civilisations, le congrès international du pétrole, mais aussi le World Innovation Summit for Education, dont il est l'initiateur.
Suite aux printemps arabes, l'émirat souhaite devenir le médiateur au Moyen-Orient (ce qu'il a déjà commencé à faire avec l'accord de Doha pour le Liban en 2008, ou le « processus pour le Soudan » sur la question du Darfour, etc. et ainsi apparaître comme le centre diplomatique et intellectuel de la région. Aujourd'hui, le pays s'implique fortement dans des tentatives de résolution de la crise syrienne.
Le Qatar a donc opté pour la stratégie du « soft power[4] », via :
  • l'organisation de conférences internationales ;
  • la médiation de conflits ;
  • des investissements dans le sport : achat du PSG, candidat pour l'organisation des Jeux Olympiques en 2024, après avoir obtenu celle du Mondial de football en 2022 ;
  • la culture ;
  • les médias : la chaîne télévisée Al-Jazeera a été inaugurée en novembre 1996 avec le soutien de l'émir. Très vite devenue populaire, elle est aujourd'hui un formidable instrument d'influence pour le Qatar.

Une Présidence qui soulève beaucoup de critiques

Le choix de l'ONU a été âprement critiqué, et ce depuis l'annonce du pays hôte faite en 2011, à la conférence de Durban(Afrique du Sud). Deux pays étaient susceptibles  d'accueillir le prochain rendez-vous climatique : la Corée du Sud et le Qatar. Si la Corée a fait des efforts importants en matière de réduction des émissions de GES et d'investissements verts, on ne peut pas en dire autant du Qatar, tout sauf sobre en carbone. Christina Figueres, la responsable des Nations unies pour le climat qui avait annoncé la nouvelle en 2011, s'est justifiée : le Qatar a annoncé vouloir réduire ses émissions de GES et aider les pays en développement à le faire. 
Les négociations mondiales sur le réchauffement climatique ont toujours été délicates. Parallèlement, l'urgence de la situation (la Banque Mondiale vient de publier un rapport alarmant sur le réchauffement climatique) exige un fort leadership pour aboutir à des solutions et des compromis : actuellement, les initiatives prises par les Etats pour réduire leurs GES ne permettront pas de contenir le réchauffement à + 2°C, seuil au-delà duquel les effets pourraient être dramatiques. Or, selon Raul Estrada, un des architectes du Protocole de Kyoto en 1997, le Qatar n'a absolument pas le profil pour cette mission. Si confier l'organisation et le financement de la conférence à Doha se justifie, en revanche, lui donner la présidence est incompréhensible. Historiquement, le Qatar n'a jamais fait preuve d'un enthousiasme débordant concernant l'adoption d'engagements, quand il n'essayait pas simplement d'empêcher ceux destinés à réduire la part des énergies fossiles pour produire moins d'émissions de GES. Une position qui s'explique par la richesse que le Qatar tire du pétrole (18e producteur mondial, d'après l'Agence Internationale de l'Énergie) et du gaz (5e producteur mondial). 

Le pire émetteur de CO2 par habitant 

Le Qatar détient ce triste record depuis une décennie. D'après les statisitiques de l'ONU, les Qataris émettraient 44 tonnes de CO2 par an en 2009, soit trois fois plus qu'un américain (17 tonnes). Comment est-ce possible, alors que le Qatar a signé le protocole de Kyoto ? En 1997, il était encore considéré comme un pays en voie de développement, et ne s'est donc vu imposer aucune obligation. Le pays a malgré tout fait quelques efforts, puisque les émissions de CO2 étaient de 63 tonnes par habitant en 2005.
De plus, l'association de protection de l'environnement WWF a rapporté en mai 2012 que le Qatar était le pays avec la plus forte empreinte écologique[5] dans le monde, qui s'explique principalement par son incroyable consommation énergétique. Le pays produit intensément du gaz et du pétrole, mais sa population est faible (1,67 million d'habitants), d'où cet incroyable chiffre. L'eau et électricité sont de plus gratuites au Qatar, ce qui n'incite personne à une utilisation raisonnable : par exemple, la demande en énergie augmente de 7% chaque année. 

La conférence de Doha entrainera-t-elle un changement dans la politique du Qatar ? 

Directement concerné par la montée des eaux, le Qatar a mené ces dernières années quelques actions en faveur d'un développement plus durable. En 2009, Qatar Airways a inauguré le premier vol commercial au gaz naturel. Le solaire devrait également se développer. Le pays tente de maîtriser les rejets industriels, notamment ceux de l'extraction de pétrole, en réutilisant les gaz issus de la combustion des hydrocarbures.
Aussi, les plus optimistes voient dans la conférence de Doha une tentative du Qatar de modifier les modalités de son développement économique, actuellement désastreux pour l'environnement. Pour d'autres, il ne s'agit que d'une occasion pour le pays de montrer sa puissance en étalant sa richesse.

Les objectifs de la 18e conférence mondiale sur le climat

La 18e conférence doit permettre de trouver un accord global pour 2015, qui entrera en vigueur en 2020. Les publications incitant les États à s'entendre se sont multipliées ces derniers temps, soulignant l'urgence de la situation : le bilan de l'Organisation mondiale de météorologie, l'étude de la Banque mondiale décrivant une Terre à +4°C invivable, le rapport de l'Agence Européenne pour l'Environnement et celui du Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE).
Doha doit donc impérativement permettre de fixer un calendrier des négociations à venir, et de prolonger le protocole de Kyoto dont la première période d'engagement s'achève le 31 décembre 2012. Sur ce deuxième point, le Canada a déjà annoncé son retrait du protocole, et la Russie et le Japon se sont montrés très réticents également. Afin de prévenir un échec semblable à celui de Copenhague en 2009, le Réseau-Action-Climat préconise d'anticiper les actions et négociations dans chaque pays, afin d'obtenir un accord « prêt à signer » en 2015. En réalité, les négociateurs devront comme à chaque fois trouver un compromis entre ambitions et réalisme, afin d'obtenir l'engagement de tous les pays.

Notes

  1. Site Internet officiel de la COP18. La première avait été organisée par l'Organisation Mondiale de la Météorologie (OMM) en 1979 à Genève.
  2. Traité international visant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, sous l'égide de l'ONU.
  3. Source : Banque Mondiale
  4. Concept utilisé en relations internationales, développé par le professeur américain Joseph Nye, pour décrire la capacité d'un acteur politique d'influencer indirectement le comportement d'un autre acteur à travers des moyens non coercitifs (structurels, culturels ou idéologiques).
  5. L'empreinte écologique est un indicateur destiné à évaluer la pression exercée par les hommes sur les ressources naturelles et les « services écologiques » fournis par la nature. Elle mesure les surfaces biologiquement productives de terres et d'eau nécessaires pour produire les ressources qu'une population consomme et pour absorber les déchets générés. 

Sources

  • Une conférence sur le climat chez le champion du CO2 – Le Nouvel Observateur
  • Le Qatar, grand émetteur de CO2, accueille la conférence sur le climat – Le Monde
  • Le Qatar, hôte controversé de la prochaine conférence sur le climat – Développement Durable.com
  • COP18 : Le Qatar, capitale mondiale des conférences et sommets ? – Rue 89
  • Doha : une conférence d'étape qui tranchera des enjeux importants en vue de l'accord global – Actu-environnement

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