Par soucis écologiques, le pays renonce à exploiter

une partie de son pétrole.

Interview d'ELIANE PATRIARCA pour Liberation

La France va-t-elle contribuer à l’un des projets écologiques internationaux les plus novateurs pour combattre le réchauffement climatique ? Bloquée sous Nicolas Sarkozy, la contribution hexagonale au projet Yasuní-ITT, l’initiative lancée en 2007 par le président équatorien, Rafael Correa, a été relancée parPascal Canfin dès son arrivée au ministère du Développement. Le projet Yasuní-ITT consiste à ne pas exploiter les champs de pétrole situés au cœur d’un parc naturel d’une exceptionnelle biodiversité. Le dossier est à l’étude au Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM), explique Pascal Canfin, qui a annoncé une décision pour le premier trimestre 2013. Secrétaire d’Etat équatorienne chargée du projet Yasuní-ITT, Ivonne Baki était à Paris la semaine dernière.

Ivonne Baki Secrétaire d’Etat équatorienne chargée du projet Yasuní


Pascal Canfin nommé le 16 mai 2012 ministre délégué au Développement auprès du ministre des Affaires étrangères 

En quoi consiste le projet ?

L’Equateur s’engage à laisser dans son sous-sol 850 millions de barils de pétrole brut, soit 20% des hydrocarbures du pays. Sont concernés trois gisements - Ishpingo, Tambococha, Tiputini - dans le parc national Yasuní, considéré comme l’épicentre de la biodiversité mondiale. En n’exploitant pas, on évite l’émission de 407 millions de tonnes de carbone dans l’atmosphère. On combat ainsi le réchauffement climatique et on préserve une zone de biodiversité unique au monde, dans laquelle vivent deux peuples indigènes en isolement volontaire - les Tagaeri et les Taromenane - et plusieurs milliers d’indiens Huaorani, Kichwa et Shuar. Yasuní-ITT a aussi une dimension pédagogique : le projet a modifié la discussion internationale sur la coresponsabilité pour la préservation des biens publics communs.

Le Parc National Yasuni Equateur

Un geste écologique qui n’est pas gratuit…

L’exploitation de ces gisements rapporterait 7,2 milliards de dollars[5,5 milliards d’euros, ndlr] sur treize ans (au prix du baril de 2007). L’Equateur renonce à 50% de ces recettes, mais demande à la communauté internationale d’abonder un fonds à hauteur de 3,6 milliards de dollars. Ces contributions serviront à la lutte contre la déforestation, aux énergies renouvelables, au développement social des peuples indigènes et à la recherche : un centre scientifique verra le jour en 2013-2014 pour explorer les ressources de la biosphère. Comme, par exemple, la capacité, récemment découverte, de certaines plantes à dissoudre le plastique ou l’utilisation d’amphibiens dans des médicaments contre le cancer.

Quel est le montant actuel des contributions ?

Un fonds fiduciaire, administré par le Programme des Nations unies pour le développement [Pnud], a été créé en 2010. L’an dernier, les contributions ont atteint 100 millions de dollars [80 millions d’euros, le minimum fixé par Correa pour la poursuite du projet]. Les premiers des quatorze pays contributeurs ont été l’Italie (35 millions d’euros) et l’Espagne (6 millions), par remises de dettes publiques. L’Allemagne a donné 35 millions d’euros. Il y a aussi la Turquie, le Luxembourg, l’Australie, la Corée du Sud, le Japon, la Russie, le Chili, la Colombie, le Pérou… Depuis 2011, le fonds est aussi ouvert aux entreprises, comme Muji au Japon, et aux citoyens. J’ai aussi présenté le projet devant l’Opep [Organisation des pays exportateurs de pétrole], et le Qatar pourrait être l’un des prochains contributeurs.

L’Opep contributeur, vraiment ?

Mais l’Equateur n’est pas contre l’exploitation pétrolière ! Nous sommes un pays pétrolier, et c’est notre première source de revenus. Pomper le pétrole d’ITT serait plus facile pour nous, mais nous avons décidé de préserver les zones sensibles écologiquement. En raison de son emplacement, à l’intersection de l’Amazonie, des Andes et de la ligne équatoriale, le parc Yasuní est une zone de mégadiversité, désignée, en 1989, comme réserve de biosphère par l’Unesco. Un seul hectare du parc recèle 644 espèces d’arbres, soit plus que les Etats-Unis et le Canada réunis ! On y trouve aussi la plus grande diversité d’oiseaux du monde, d’amphibiens, de poissons d’eau douce et d’insectes. Le pétrole est exploité dans le parc depuis 1972, mais les 200 000 hectares du bloc ITT sont une zone intacte.

La France contribue-t-elle au fonds ?

Non, mais sept collectivités françaises nous soutiennent, dont Rhône-Alpes, la Meurthe-et-Moselle, l’Ile-de-France… En juin, juste après le changement de gouvernement, j’ai eu des discussions très positives avec Pascal Canfin, et je viens de rencontrer la ministre de l’Ecologie, Delphine Batho.

L’élection présidentielle en février peut-elle menacer le projet ?

La Constitution équatorienne de 2008, dans laquelle est inscrit le respect du droit de la nature, ne permet pas l’exploitation pétrolière dans des zones écologiquement sensibles, sauf en cas d’intérêt national avéré. Même dans ce cas-là, il faudrait organiser un référendum. Or, un sondage récent a montré que 83% des Equatoriens préfèrent laisser le pétrole sous terre.

Parc Yasuni Equateur

Le parc naturel Yasuní a été reconnu par des scientifiques du monde entier comme étant la zone de plus grande biodiversité de la planète . Dans une hectare du parc Yasuni, on a pu distinguer 644 variétés d’arbres. Il y a autant de variétés d’arbres et d’arbustes dans un hectare du parc qu’il existe d’arbres autochtones dans toute l’Amérique du Nord. Ce parc a été déclaré Réserve Mondiale de la Biosphère par l’UNESCO 
 
La Réserve de la Biosphère est aussi le lieu de vie du peuple autochtone Waorani et des peuples en isolement volontaire . Ce sont les derniers êtres libres de l’Equateur, d’authentiques guerriers, qui vivent dans ce qu’on appelle les « sociétés de l’abondance », car ils produisent le minimum suffisant pour satisfaire leurs besoins.

Le Président de la République de l’Equateur, Rafael Correa, a déclaré que le meilleur choix pour le pays est de laisser le pétrole dans le sous-sol .
Pour cela il faudrait mobiliser la société nationale et internationale pour soutenir l’État Equatorien dans l’application de cette coûteuse décision nationale (60% des revenus de l’Etat provenant de l’exploitation pétrolière). L’objectif du gouvernement est de cumuler par ce moyen 50% des revenus qu’il obtiendrait par l’extraction du pétrole de ce projet.